Je suis donc allé voir le documentaire de Daniel Leconte. Et j’ai été plutôt agréablement surpris sachant que je n’avais lu qu’une seule critique, celle du site Rue89, franchement incendiaire. Hugues Serraf y dénonçait la balourdise de Daniel Leconte et un manichéisme primaire, montrant Charlie comme dernier rempart contre l’obscurantisme religieux rampant, menaçant la République. Les quasi-larmes d’Elisabeth Badinter en Marianne font effectivement hésiter entre le très sérieux et le vraiment drôle. J’ai l’impression que la déception (car il y en a une) vient du parti pris du réalisateur, celui de coller au plus près des événements au risque de rendre impossible toute mise en perspective. Je rejoins le journaliste de rue89 quand il regrette l’absence d’un « retour serein sur un débat complexe ». Le documentaire était l’occasion de porter un regard rétrospectif et donc de prendre le temps d’analyser, ici, on est pris dans le tumulte du procès. La musique, parfois à la limite du supportable y est pour beaucoup. J’avoue avoir eu des palpitations en suivant Val à l’entrée de la 17ème chambre le premier jour du procès. Le revers de cette manière de faire est qu’elle rend difficile tout regard critique sur ce qui s’est passé. En y regardant de plus près, le procès des caricatures dépasse largement les dessins incriminés. Car parler des relations entre l’Islam DE France, les Musulmans et ce que la presse peut dire ou montrer de cette religion c’est être confronté à un écheveau complexe dont on ne parvient que difficilement à démêler les fils. Daniel Leconte ne montre que les témoins (pas tous nénamoins) présents lors du procès. Témoins de quoi au fait? On pouvait tout de même se demander ce que venait faire dans cette galère les deux François (Bayroux et Hollande) sinon prodiguer des maximes du genre: « la liberté d’expression ne se marchande pas ». Avait-on besoin de Monsieur Hollande pour le dire. Sans vouloir être pédant sans doute aurait-il été bon de « déconstruire » ce procès. Festina lente disait les anciens. Le procès soulevait en effet des questions:
- politiques relatives à la citoyenneté qu’on accorde ou non aux personnes de confession musulmane
- ethniques concernant la relation étrange établie entre l’Islam et une quelconque « race ». Les protagonistes parlent sans cesse de « racisme », à commencer par Maître Szpiner, mais depuis quand l’Islam est une race? A moins de considérer que les Musulmans sont tous des Maghrébins, des Noirs…. Mais c’est là une grossière erreur.
- géopolitiques: l’affaire des caricatures entérinent le fait que les informations se diffusent, mais tout en se diffusant, se déforment, et surtout s’interprètent de manière radicalement différentes selon les contextes.
- religieuse en ce qui concerne ce que les croyants son prêts à accepter ou non. Il serait bon que la susceptibilité n’est en ce moment pas l’apanage des Musulmans puisque la belle affiche de Marité et Girbaud (voir ci-dessous) avait été attaquée par des associations catholiques. Il s’agirait plutôt d’un élément entrant dans le processus de crispation des identités religieuses.
Les grands absents du documentaire sont finalement les principaux intéressés, à savoir les Musulmans français. Les seuls qu’on nous montre ce sont quelques excités venus au tribunal pour suivre le procès. L’enjeu était pourtant de taille: comment les « Musulmans laïcs » comme dit Philippe Val (concept qui m’échappe un peu) ont vécu et surtout VU ces caricatures. Car les journalistes de Charlie ont beau expliqué qu’ils ne visaient pas les Musulmans mais seulement les intégristes, la question de savoir pourquoi les Musulmans ont pu être choqué reste entière à la fin du film. Alors le film nous parle d’un « Musulman » imaginaire qu’on aurait aimé voir, entendre.
Pour en revenir aux caricatures, et en particulier à celle montrant le Prophète avec un turban qui est en fait une bombe, on peut reconnaître le caractère insultant de cette dernière. Abdelwahab Meddeb remarque judicieusement que le plus choquant sont les traits du Prophète. Il s’approche en effet davantage du pervers lubrique que du prince de paix. D’ailleurs Daniel Leconte s’étonne de cette interprétation, comme s’il n’y en avait qu’une de possible, à savoir celle des défenseurs de la liberté d’expression. Et là on a envie de lui dire: « eh oui, tout le monde ne voit pas la même chose. Tout dépend de notre propre vision du monde ». Il faut revenir au mot d’ordre du rédacteur danois ayant invité les dessinateurs à envoyer leurs productions. Il s’agissait de montrer « Mahomet tel que vous le voyez » (en tout cas tel que c’est rapporté dans le documentaire). Si tel est le cas, la caricature en question est particulièrement insultante. Cela signifie que le dessinateur voit le Prophète comme un terroriste.
Au final, je suis sorti du film assez content car il m’a donné à réfléchir, ce qui est plutôt bien, mais ma réflexion portait davantage sur ce qu’il manquait que sur ce qu’on m’avait donné à voir.