La littérature en sciences sociales ne manque pas de travaux sur les Evangéliques et les Pentecôtistes en Amérique Latine (Jean-Pierre Bastian, André Corten, David Martin, David Stoll) ou en Afrique (Elisabeth Dorier-Apprill, Cédric Mayrargue, Sandra Fancello, André Mary, Paul Gifford….). En revanche les rayonnages des bibliothèques universitaires ne croulent pas sous le poids des travaux concernant les Eglises en Europe de l’Est. C’est d’autant plus dommage que les pays de l’Ancien bloc soviétique sont aujourd’hui le théâtre d’une intense évangélisation.
Je partage avec vous deux lectures récentes: l’ouvrage de l’historienne et anthropologue Catherine Wanner, Communities of converted: Ukrainiens and Global Evangelism, ouvrage publié en 2007 aux presses de l’Université de Cornell, et un article de J. Kwabena Asamoah-Gyadu (Gyadu dans mon papier) paru dans la revue Pneuma (journal édité par la Society for Pentecostal Studies), « An African Pentecostal on Mission in Eastern Europe: The Church of the Embassy of God in the Ukraine ». Si Wanner aborde les évolutions du Christianisme évangélique en Ukraine depuis les premières décennies du 20ème siècle, avec une attention particulière aux dynamiques ayant suivi la chute de l’Empire soviétique, elle consacre néanmoins un long développement à l’église The Embassy of God (Kyev) dont le nom complet est The Embassy of the Blessed Kingdom of God for all Nations.
Alors pourquoi une telle attention portée à cette église? Pour plusieurs raisons, à commencer par le nombre de personnes qu’elle rassemble. Selon Wanner l’église compte plus de 25 000 personnes, ce qui est en fait la plus grande megachurch européenne (toujours d’après Wanner). La seconde raison de cet intérêt provient de la personnalité du pasteur fondateur de l’église, Sunday Adelaja. Ce dernier est un…. nigérian. Wanner rappelle qu’il n’y a que 2000 Africains en Ukraine pour une population d’environ 47 millions de personnes et que le racisme est un sentiment répandu dans toutes les couches de la société. Sunday Adelaja est arrivé en Europe par le biais de la Biélorussie en 1986 pour étudier le journalisme. Après la chute de l’URSS il fonde the Word of Faith Church (1989) qui fut un échec cuisant. En 1994, il s’établit à Kyev où il commence un groupe d’étude biblique avec 7 personnes et va prêcher dans les rues de Kyev. Wanner raconte comment en 1994 elle l’a entendu prêcher dans un couloir de métro. La même année il relance son église Word of faith avec une cinquantaine de personnes. Son objectif est de convertir 100 personnes par moi et d’en faire des membres de l’église. Après seulement une année d’activité, l’église compte plus de 1000 fidèles. En 2002, l’Eglise prend le nom actuel, affirmant ainsi la vocation internationale de l’oeuvre. En 2005, the Embassy of God tenait 38 services tous les dimanche répartis sur l’agglomération de Kyev. Gyadu rappelle que s’il s’agit d’une « African initiated church » il ne s’agit pas pour autant d’une église africaine. Il souligne également que l’initiative de Adelaja n’est pas isolée puisque la deuxième plus grande église de Kyev a été fondée par un zimbabwéen, Henry Madaba. Wanner met également ce point en avant: il n’y a rien de nigérian ou d’africain dans les offices de l’église Embassy of God, même si l’accent est mis sur des points de théologie développés au Nigeria: la guérison par la foi, l’évangile de la prospérité et la conversion des Musulmans. Ces trois éléments n’ont néanmoins rien de vraiment propre aux églises nigérianes, et on les retrouve dans la plupart des mouvements néo-pentecôtistes et/ou charismatiques, à des degrés certes divers.
Ce qui est plus intéressant c’est la manière dont Adelaja intègre pleinement la culture ukrainienne dans la vie de l’Eglise. Wanner explique que la culture ukrainienne est valorisée: ainsi de nombreux membres viennent en vêtements traditionnels aux offices. Cela signifie que l’adhésion à l’église ne constitue pas un rupture avec l’identité ukrainienne, une sorte de méta-identité chrétienne parfois soulignée par les auteurs dans d’autres contextes culturles, mais permet au contraire de renouveler l’identité ukrainienne en la teintant de spiritualité chrétienne. Adelaja met en avant l’idée qu’il faut rompre avec une conception du chrétien détaché de la vie de la Cité et d’une foi limitée à la sphère privée. Au contraire, ces interventions rappellent sans cesse la nécessité d’engagement des Chrétiens dans toutes les sphères de la société. Son discours est à l’image des activités de l’Eglise qui touchent divers secteur:
- le social: l’oeuvre sociale de l’Eglise se fait principalement en direction des personnes droguées ne parvenant pas à être prises en charges par les services sociaux ukrainiens. L’Eglise a ainsi mis en place un programme intégral de prise en charges des personnes dépendantes. Les personnes traitées sont prises en charge durant plusieurs mois dans des centres spécialement aménagés à cette occasion. Cet exemple illustre bien les débats tournant autour des « Faith-based organisations » (voir le N° de spetembre 2008 de la revue Urban Studies consacré à cette question.
- le politique: une des forces de Sunday Adelaja est d’avoir trouvé des appuis dans la classe politique ukrainienne. En 2004, les efforts pour l’expulser d’Ukraine furent définitivement bloqués par 31 membres du Soviet Suprême ukrainien, dont parmi eux l’ancien président ukrainien Leonid Kravchuk. L’appui le plus éclatant à l’Eglise est celui du maire actuel de Kyev, Leonid Chernovet’Sky, membre de l’Eglise et par ailleurs une des plus grandes fortunes du pays.
- la finance et les affaires: dans un contexte d’ouverture du pays au système capitaliste le secteur financier et commercial est l’occasion pour l’Eglise de porter son message et en même temps d’encourager les entrepreneurs et les initiatives privées. Dans une perspective théologique le discours porté par Adelaja est la « Théologie de la prospérité » qui fait de la pauvreté une malédiction et met en avant la réussite matérielle comme un signe de bénédiction de la part de Dieu. L’Eglise va plus loin puisqu’elle a mis sur pieds un centre appelé le « Transformations Buiseness Center », qui enseigne les principes de bases du monde des affaires dans une perspective chrétienne. L’objectif de ce centre est d’établir un pont entre les pratiques qui conduisent actuellement la vie économique et celles qui devraient, selon les Chrétiens, être mis en place.
Ces trois éléments (social, politique et finance/commerce) témoignent du fait que le projet de Sunday Adelaja n’est pas uniquement de rendre un service à la communauté mais plus largement de rechristianiser des pans entiers de la société. Faudrait-il parler d’un processus de dé-sécularisation? On peut ouvrir la discussion. Par ailleurs, the Embassy of God est l’exemple typique d’Eglise créée localement et ne se contentant pas d’un rayonnement uniquement local. Le logo de l’Eglise (voir l’image plus haut) constitue à ce titre une déclaration d’intention: le symbole de l’Eglise est ainsi un globe terrestre avec le continent africain placé au centre. Le globe est rehaussé d’une couronne accompagnée d’une croix. Juste en dessous de la couronne il y a une lumière dont la source est probablement l’Ukraine. Cette lumière irradie toute l’Europe et le Moyen Orient. Même si l’Afrique est placée au centre la lumière et l’énergie missionnaire provienne d’Ukraine. La position centrale de l’Ukraine est dans la perspective de certains pasteurs africains qui font du continent africain le bras droit de Dieu. Paul Gifford dans son ouvrage, Ghana’s new Christianity: Pentecostalism in a Globalizing african economy (2004), rappelle qu’un pasteur comme Mensa Otabil, fondateur la International Central Gospel Church à Accra, se situe pleinement dans cette manière de voir.
Les références utilisées:
- WANNER Catherine (2007), Communities of the converted: Ukrainians and global evangelism, New-York, Cornell University Press.
- ASAMOAH-GYADU J. Kwabena (2005), « An African pentecostal on mission in Eastern Europe: the Church of the Embassy of God » in the Ukraine, Pneuma, 27(2).
Voir sur ces sujets la parution du dernier n°Archives de Sciences Sociales des Religions, n°143 (2008) : « Les christianismes du sud à l’épreuve de l’Europe ».