"Une heure pour Paris": prier pour la ville…. dans la ville

Paris

Rendez-vous est donné à tous les Chrétiens de la capitale le samedi 23 mai 2009 à 15h00, place de la Bastille, pour une heure de prière, de louange et de prédication. L’événement a été organisé par deux églises évangéliques parisiennes, l’Eglise évangélique de Paris Bastille et par le Centre Evangélique PhiladelphiaUn site internet a même été créé pour l’occasion. Sur ce dernier, on peut visionner une vidéo montrant un rassemblement de ce type à New-York sur la célèbre place de Time Square. On y voit une foule compacte écouter une pléthore de prédicateurs.

Ainsi, les églises sortent de leurs murs et investissent l’espace public, autant pour affirmer leur présence que pour toucher directement les gens. Vu de France, ce type de manifestation n’est pas vraiment une surprise de la part des EU, pays considéré comme un pays ayant placé la religion au coeur de sa vie publique. La tenue en France de ce type d’événement pourra paraître plus atypique même s’il y a d’autres exemples où la religion sort des murs des lieux de culte pour investir l’espace public: la Marche pour Jésus organisée chaque année par des organisations évangéliques et pentecôtistes,  les chemins de Croix organisés par les différentes paroisses catholiques dans les rues de nos villes,  les fêtes religieuses des Tamouls dans le 18ème arrondissement de Paris, ou encore les fêtes juives qui se tiennent dans le parc des Buttes Chaumont (Paris, 19ème). Un petit mémoire de Master sur une approche pluriconfessionnelle des manifestations de rue serait le bienvenu. Avis aux étudiants…

 

Au moment (ou presque) où je rédige cette petite note je regarde de près l’ouvrage fort intéressant du sociologue américain Robert Wuthnow, Producing the Sacred, an essay on public religion (1994, University of Illinois Press). Les pages introductives de l’ouvrage permettent de poser des questions passionnantes en ce qui concerne ce type de manifestations religieuses de rue. L’auteur commence par reconnaître l’aspect quelque peu provocateur du titre de son livre : peut-on réellement produire le sacré ? Que signifie une telle assertion alors même que le sacré apparaît dans une certaine mesure avant tout comme un don reçu par le croyant ? Robert Wuthnow écrit ainsi dès les premières lignes : « Qu’y a-t-il de plus spontané, en dehors de notre contrôle, que le sacré ? Comment pourrait-il être produit ? Selon la tradition, le sacré nous arrive comme une révélation, une épiphanie, un don de la grâce. Dieu s’adresse à Moïse à travers le Buisson ardent, non pas parce que Moïse a fait quelque chose de spécial, mais simplement parce que Dieu en a décidé ainsi » (traduction de votre serviteur). Wuthrow souligne un peu plus loin que des lieux de culte sont bâtis afin d’accueillir la divinité, de manière à lui donner un lieu où habiter. Pourtant, n’y a-t-il pas confusion  entre sacré et religion ? Le sociologue en a parfaitement conscience. Le sacré serait de l’ordre du donné, de l’imprévisible, alors que la religion serait au contraire l’institutionnalisation ou la rationalisation de ce sacré. Tout se passe comme si pour entretenir le sacré, il fallait la religion.

 Laissons de côté cette discussion et revenons à cet événement prévu pour la fin mai à proximité de la place de la Bastille. Si nous gardons cette idée de production, se pose alors la question :  comment produire du sacré, une expérience religieuse, dans l’espace public laïc et sécularisé ? Tant qu’on reste dans le cadre du lieu de culte, le bâtiment joue le rôle de cadre spatial à cette expérience. Le rôle de la porte, des seuils, des passages, dans les grands monothéismes témoignent de l’importance de définir une distinction quasi-ontologique entre l’extérieur et l’intérieur. la problématique de la dimension spatiale du sacré n’est pas neuve : on se souvient du du livre Le sacré et le profane de Mircea Eliade. Le premier chapitre s’intitule « L’espace sacré et la sacralisation du monde ». Il souligne ainsi : « Disons tout de suite que l’expérience religieuse de la non-homogénéité de l’espace constitue une expérience primordiale, homologable à une ‘‘fondation du monde’’ ».

Pourtant, les Protestants ne mettent pas l’accent sur la sacralité du cadre bâti. Le lieu de culte est surtout vu du point de vue fonctionnel et ne reçoit pas de signification religieuse. Néanmoins, il y a bien le temps du culte une sorte de métamorphose métaphorique du lieu du rassemblement. Je me souviens d’un culte évangélique dans une salle de conférence tout à fait neutre suivi en Seine-Saint-Denis : le pasteur a commencé la prière en rappelant que cette salle n’était pas un lieu sacré et que pourtant, la venue du Saint Esprit allait le sanctifier. S’il n’y a pas un espace sacré, il y a en revanche une spatio-temporalité dans laquelle s’exprime le sacré.

Que se passe-t-il quand il n’y a plus de murs et de portes, permettant de circonscrire la manifestation du sacré ? Que devient le contenu quand il perd son contenant ? Et bien c’est peut-être cette question qui va guider le géographe du religieux observant le grand rassemblement organisé par les évangéliques parisiens. J’entends des voix me dirent qu’il n’y avait pas besoin d’attendre les évangéliques pour observer cela. Les Journées Mondiales de la Jeunesse en 1998 offrait ainsi un exemple frappant de cette expression de la faveur catholique en plein air sur l’hippodrome de Longchamp. C’est tout à fait juste, mais je n’ai lu nulle part de compte rendu minutieux du dispositif spatial permettant de produire le temps d’une messe, ce fameux sacré.

Je serai donc présent le samedi 23 mai à ce rassemblement afin de prendre  des photos et surtout des notes, et pouvoir simplement rendre compte de ce que j’aurai observé. On n’imagine pas toutes les idées qui viennent dans cet exercice, a priori anodin, de la description. 

PS : d’un point de vue sociologique, une idée me vient subitement. J’ai parfois l’impression que ses grands rassemblements organisés conjointement par plusieurs églises permettent à ces dernières de « jouer en terrain neutre » pour prendre une image footballistique. En effet, le temps d’un événements les appartenances à telle ou telle église cèdent la place à une identité plus large. Bref, la réalisation de l’Eglise Universelle. A creuser.

2 réflexions au sujet de « "Une heure pour Paris": prier pour la ville…. dans la ville »

  1. Bonjour. Concernant 1 heure pour paris (prière à bastille), vos remarques sur la spacialisation du sacré en distinction du religieux m’ont beaoucoup touché. Je compte sur vous pour me tenir informé des suites que vous donnerez après avoir couvert l’évènement.
    Cordialement
    Stéphane

  2. Bonjour,

    Merci pour votre article sur l’évènement d’1h de prière à Paris de l’année dernière. Pour info nous allons remettre çà encore cette année. Nous allons ouvrir une page facebook pour faire connaitre cet évènement, m’autorisez-vous à reprendre la photo en entête de l’article pour notre facebook ?

    Dans l’attente de vous lire

    Cordialement

    Didier

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