Voici un lien vers un article écrit en collaboration avec le sociologue Baptiste Coulmont (enseignant à Paris VIII) paru sur le site d’informations Rue89. On trouve au point de départ de cet article des photos d’affiches évangéliques prises par Baptiste essentiellement dans le quartier de Château Rouge (18ème arrondissement de Paris). Il a par la suite élaborée des cartes montrant la localisation des églises dont les noms apparaissaient sur les affiches et il a superposé ces localisations avec une carte de la pauvreté en Ile de France, établissant ainsi une corrélation entre les deux phénomènes.
Le titre de l’article, « la pauvreté, terrain fertile pour les églises noires » (titre choisi par les rédacteurs de Rue89), est trompeur car il donne à penser que c’est la pauvreté qui serait le facteur explicatif principal quant à l’adhésion des individus à une église. On retrouve là le vieux schéma de la religion comme compensation d’une situation matérielle difficile à supporter. Cette relation entre pauvreté et adhésion religieuse existe, il ne fait pas la nier, mais elle n’explique pas tout. Les gens dans les églises sont certes d’origine modeste, mais ils ne sont pas forcément dans une précarité matérielle excessive. Je ne me fonde que sur mes impressions de terrain pour dire cela et il faudrait une enquête approfondie dans une assemblée pour tirer des conclusions sur ce point. Par ailleurs, les enquêtes que j’ai menées dans deux églises de Saint-Denis mettent en évidence le fait que les fidèles ne viennent pas uniquement du département de Seine-Saint-Denis. Il y a ainsi une aire de polarisation de l’église à l’échelle de la région Ile de France, et même au-delà. Il faut donc enterrer une fois pour toute l’image de fidèles pauvres ghettoïsés dans des quartiers enclavés.
En fin de compte, comprendre l’adhésion des gens à une église est une difficile entreprise et la tentation est grande d’en passer par des explications générales simplistes : les gens sont pauvres et donc crédules, et s’ils sont crédules ils entrent dans une église. CQFD. Si j’ai appris une chose en fréquentant des dizaines d’églises à Lyon, Paris ou Montréal, c’est que les fidèles sont loin d’être de parfaits illuminés manipulés. J’ai constamment en tête la leçon de l’éthnométhodologie de Garfinkel : « l’acteur n’est pas un idiot culturel ». Il est en capacité de rendre compte de son action. Le rôle du chercheur réside davantage dans la capacité à donner un espace expressif à l’acteur, plutôt que de vouloir débusquer des raisons cachées que l’acteur ne verrait pas. Sur ce point je renvoies aux superbes pages de Luc Boltanski dans le chapitre « ce dont les gens sont capables » dans son livre L’Amour et la justice comme compétences (un des titres les plus beaux de la sociologie contemporaine)
Ce que j’ai apprécié dans cette publication, ce sont les commentaires nombreux des lecteurs de rue89 : ça permet de comprendre que ce que l’on écrit est souvent perçu par le public général autrement que par les collègues.
Le titre a été choisi par rue89…
Bien d’accord pour ce qui est du public, hors du cercle des chercheurs. J’ai bien pensé que le titre venait de Rue89.
Quand la FEPEF, sur son blog, reprend l’article… le titre est modifié.