La mosquée de Créteil (cliché: FD, janvier 2009)
La votation suisse de dimanche dernier a provoqué des remous considérables. Celle-ci portant sur l’autorisation ou non d’édifier des minarets a ainsi mis en évidence que les enjeux à venir portent précisément sur la visibilité des signes islamiques dans les espaces urbains. Cette question de la visibilité de l’Islam a été largement évoquée par les travaux des sociologues francophones travaillant sur les Musulmans en Europe. Je pense tout particulièrement à Jocelyne Césari (je renvoie à un passionnant dossier coordonnée par cette dernière dans le Journal of Ethnic and Migration Studies vol. 31, N° 6, 2005), Nilüfer Göle (par exemple un article paru dans la revue Public Culture : Islam in Public : new visibilities and new imaginaries, 14(1), 2002), Claire de Galembert, Jean Rémy ou encore Felice Dassetto (entre autres, la Construction de l’Islam européen paru à l’Harmattan en 1996). Je cite ces auteurs car tous ont fait du processus de visibilité de l’Islam un élément essentiel. Ce qui est intéressant est qu’ils articulent deux formes de visibilité : une visibilité sociale et une visibilité spatiale. Les deux fonctionnant d’ailleurs de pair. Ils mettent en évidence de quelle manière les débats se sont noués sur ces deux niveaux de la visibilité : certains affirment que l’Islam peut être parfaitement intégré dans la société française sans être visible physiquement, tandis que d’autres mettent au contraire en évidence la nécessité d’une coïncidence de ces deux niveaux.
Ces deux positions se sont d’ailleurs largement exprimées dans les médias depuis le vote suisse. Ainsi, Ivan Rioufol, dans sa chronique parue dans le Figaro du vendredi 4 décembre 2009 écrit : « L’islam n’a pas besoin de signes extérieurs ostensibles pour exister ». C’est d’ailleurs un argument largement entendu ces derniers jours : après tout, les Musulmans peuvent bien se passer de minarets. Et le même chroniqueur d’ajouter : « D’autant qu’un minaret n’est pas une obligation coranique (la mosquée de Jérusalem n’en a pas). En interdire l’édification ne porte donc pas atteinte à l’islam, comme le font croire les radicaux, qui mettent à l’épreuve les capacités de défense des démocraties ». C’est donc la preuve que la décision suisse n’est pas contre les Musulmans. CQFD. Le raisonnement comporte néanmoins un certain nombre de failles, à commencer par celui du droit. Certes, les Musulmans peuvent se passer de minarets, mais est-ce aux non musulmans d’en décider ? S’il y a un référendum à faire, il faut le mener parmi les Musulmans. On voit difficilement comment justifier l’intrusion des citoyens dans les règles architecturales des Musulmans.
Du côté français il existe un arbitre très pratique : le code de l’urbanisme. Les projets de construction de mosquées sont soumis à un certain nombre de contraintes et si nombre de réalisations ne comportent pas de minaret c’est justement parce qu’une telle construction contrevenait aux règles de l’urbanisme. Ces règles ont parfois été subverties non sans humour : telle mosquée associant escalier de secours et minaret. Par ailleurs les Musulmans ne décident pas seuls du bâtiments construit : les négociations sont souvent longues et âpres avec les élues locaux (il y a même des exemples de référendums municipaux comme à Libercourt dans le Pas de Calais en 1991). Il faut souligner que depuis une vingtaine d’année les municipalités se montrent plutôt conciliantes. L’époque où le maire de Charvieu-Chavagneux (Isère) faisait détruire la salle de prière à coups de bulldozer semble bien loin (on regardera avec intérêt une vidéo sur le site de l’INA rapportant l’événement). Les critiques les plus virulentes (celle du FN et des Groupes Identitaires) se font sur les aides indirectes que les mairies accordent aux communautés musulmanes locales, notamment par le biais des baux emphytéotiques. Si on peut reprocher à certains élus de faire de la construction de la mosquée un enjeu électoral (et bien oui, il faut bien se faire élire, et les Musulmans votent…) il faut rappeler que les baux emphytéotiques datent des « chantiers du Cardinal » des années 1930. Il s’agissait alors de faciliter l’accès au foncier de l’Eglise catholique dans les banlieues des grandes villes alors en pleine expansion. Si un tel dispositif a profité aux Catholiques, pourquoi ne profiterait-il pas aux Musulmans ?
On peut s’étonner de cette focalisation sur le minaret qui représente finalement un problème assez négligeable au regard du nombre de lieux de culte musulmans en France (entre 1500 et 2000) et le nombre de minarets (une dizaine, principalement ceux des mosquées cathédrales). On peut faire l’hypothèse que le débat lancé sur le minaret a servi de prétexte pour en amorcer un autre : celui des mosquées et plus largement celui de l’Islam dans les sociétés européennes (les discussions dans les médias français ont d’ailleurs subtilement glissé du minaret à la mosquée). J’ai pris la photo ci-contre à Bondy dans la banlieue parisienne : la mosquée n’a pas de minaret et pourtant on devine assez facilement la fonction du bâtiment (en particulier les dômes et les arabesques en fer forgé). A quoi bon légiférer sur le minaret puisqu’il n’est pas le seul indicateur de la présence de la mosquée, et n’ajouterait finalement pas grand chose à la visibilité du lieu ?
Autre argument entendu fréquemment : interdire le minaret c’est préserver l’identité de nos paysages. Occasion de ressortir nos plus belles photos façon « force tranquille » (suivez mon regard) et évoquer avec des sanglots dans la voix ces petits villages organisés autour du clocher. Certes, on aime tous ces petits villages français, mais on reconnaîtra que le processus d’urbanisation et plus largement les transformations sociétales de ces dernières décennies ont largement entaché ce paysage idyllique. On peut alors se demander quel pourrait bien être l’identité du paysage français. Autre photo : celle de la toute nouvelle mosquée de Créteil (1ère photo). Entre nous, ça a plus de gueule qu’un IKEA. Et puis que les nostalgiques du village français se rassure les mosquées se construisent dans les centres urbains : la carte postale est sauve.
Il faudrait également répondre sur le mythe de la vague « verte », de la croissance exponentielle des Musulmans, de leur volonté de convertir tout le monde…. Mais j’ai des copies à corriger et une thèse à écrire.