Voici un petit retour sur le reportage « le Diable aux trousses » et sur la notion de « délivrance », largement mise en avant dans certaines Eglises. J’ai trouvé le reportage assez équilibré, relativement à ce qui est parfois montré de ces Eglises, alors même que le sujet se prêtait à des exagérations grossières. Le journaliste a pris soin de ne pas effectuer de généralité et il est bien précisé que les Eglises dans lesquelles il y a des abus représentent l’écume du mouvement évangélique et pentecôtiste. On pouvait apprécier le fait que la parole fût donnée à des fidèles européens, mettant ainsi à mal l’idée selon laquelle les ministères de délivrance ne séduiraient que les personnes originaires du continent africain.
Au cours de notre « promenade » dans Saint-Denis, j’avais pris soin de préciser que toutes les Eglises africaines n’étaient pas des Eglises de « combat spirituel » ou des « ministères de délivrance », et qu’il serait faux de faire de l’affaire de La Verrière (pour un rapide rappel des faits, voir ici) le strict reflet de ce qui se passe dans les Eglises africaines. Comme le rappelle André Droogers dans un article sur les « Essentialist and normative approaches » (article paru dans un ouvrage collectif intitulé Studying Global Pentecostalism : theories and methods édité par Allan Anderson), il est tentant de réduire la complexité d’un phénomène religieux à quelques traits saillants pouvant servir d’explications définitives. Dans le champ évangélique, ces « traits saillants » (transes, glossolalie, délivrance…) sont particulièrement télégéniques, et les images véhiculées sur les Eglises peuvent ainsi se réduire à quelques éléments périphériques.
Au cours de cette « promenade» nous nous sommes rendus au local de l’Eglise de la Montagne de feu et des miracles, une Eglise nigériane fondée en 1989 par Daniel Olukoya. Dans le reportage, l’équipe de France 2 expliquait qu’ils étaient entrés en « caméra cachée » dans la salle de culte. Je précise que ce n’était pas avec moi. Ils y sont certainement retournés une semaine après. La pratique de la caméra cachée, fort répandue dans les magazines d’investigation semble opérée sur la base d’un droit à l’information, et repose sur un étrange paradoxe : l’objet sur lequel nous enquêtons n’a rien à cacher, donc nous, nous pouvons nous cacher. Outre son statut éthique discutable (et c’est un euphémisme), l’effet visuel de la caméra cachée renforce l’aspect mystérieux et opaque de ce qui est montré. Si l’image n’est pas nette c’est parce que ce qu’y se passe dans cette salle ne l’est pas non plus. Bref, la caméra cachée est de mon point de vue une pratique de manipulation du spectateur et non une technique d’investigation.
l’Eglise de la Montagne de feu et des miracles a été décrite dans la revue Diogène en 2002 par Rosalind I. J. Hackett : « Le trait caractéristique de cette secte chrétienne particulière est en vérité une démonologie élaborée qui en appelle à une approche « Pouvoir contre pouvoir » des vicissitudes de la vie. Le MFM vante le cursus professionnel de son dirigeant et ses compétences en microbiologie et génétique moléculaire, ainsi que son expérience scientifique, qui se reflète dans les schémas rigoureux de prière ou les « entrées de prière » qu’il a établi, de même que dans son analyse microscopique de la démonologie. Il décrit le MFM comme « une secte évangélique à faire par soi-même, où l’on apprend à vos mains à faire la guerre et à vos doigts à combattre. » Il accorde une importance toute particulière à la prière régulière, surtout pendant la nuit, lorsque Satan et ses suppôts sont les plus actifs. On y trouve également une analyse détaillée des rêves et des descriptions exhaustives des machinations d’esprits particuliers, surtout les esprits de la mer ou de l’eau.
Tandis que le MFM se définit comme une organisation chrétienne – une « secte assumant tout l’Évangile » (et effectivement on apprend à ses membres à invoquer le nom de Jésus comme une arme puissante) l’attention accordée, dans les écrits, les actes rituels et la communication symbolique, aux forces sataniques est écrasante. Lorsque j’ai demandé à ma camarade, une avocate membre très actif du MFM, si cet appel à la vigilance constante contre les forces démoniaques n’équivalait pas à admettre l’insuffisance du salut chrétien, elle m’a répondu que n’étant pas du pays je ne pouvais pas comprendre les forces négatives qui assaillent en particulier le peuple du Nigeria. Il est évident qu’un grand nombre d’autres personnes sont de cet avis car environ 100.000 adeptes (information du MFM, ce qui en fait la plus grande congrégation chrétienne d’Afrique) affluent au site d’Akoka-Yaba chaque dimanche matin, et chaque mois pour le très populaire programme « Power Must Change Hands » (Le pouvoir doit changer de mains)». Bien d’autres visitent la Cité de la prière dans la banlieue de Lagos pour les assemblées de prière du vendredi ».
L’Eglise de la Montagne de Feu et des Miracles est un « ministère de délivrance » dans lequel on enseigne au fidèle à se livrer à un « combat spirituel » qui possède une dimension éminemment physique (par le chant, les cris, la gestuelle). Cette notion de « délivrance » est présentée dans une contribution éclairante de l’anthropologue Sandra Fancello dans le Dictionnaire des faits religieux (sous la direction de Régine Azria et Danièle Hervieu-Léger), tout récemment publié aux PUF. Dans l’article « délivrance », la spécialiste des Eglises africaines rappelle que « la délivrance est une catégorie de pensée qui revêt des formes variables selon les cultures religieuses et les aires culturelles dans lesquelles elle est appréhendée. Elle conserve toujours, cependant, l’idée du détachement salutaire et de la fin de l’aliénation ». La délivrance est donc associée à une libération, à la sortie d’une forme de captivité. Dans le cas des pentecôtismes africains, il s’agit de se libérer de l’emprise des cultes traditionnels et des pratiques qui leur sont associés. Ainsi, « la conversion pentecôtiste, qui passe par « la rupture totale d’avec le passé (l’expression est de Brigit Meyer dans Translating the Devil: religion and modernity among the Ewe in Ghana), comprend deux dimensions : la première correspond à la délivrance du passé personnel, la seconde à une libération de la « malédiction ancestrale ». Le concept pentecôtiste de « malédiction ancestrale » implique que la conséquence des péchés (ou considérés comme tels) commis par les ancêtres retombe sur leur lignée descendante ». Une telle théorie explique pourquoi une personne convertie peut tout à fait être encore la cible d’attaques de la part d’esprits païens des ancêtres.
Dans son travail de recherche, le journaliste de France 2 avait déniché sur une plate-forme de type youtube, une vidéo amateur montrant le baptême de la femme impliquée dans l’affaire de La Verrière. La vidéo en question avait été supprimée, mais le journaliste en ayant fait une copie, j’ai pu la visionner. Elle constitue une source très riche, même si je ne connais pas bien le statut en anthropologie d’une vidéo tournée par un acteur directement engagé dans la séquence d’actions étudiée. On y voit deux femmes se faire baptisées : après leur avoir fait répéter une prière dans laquelle les futures baptisées demandent pardon pour leurs fautes, le pasteur les immerge dans l’eau et leur impose les mains. Toutes deux semblent s’évanouir alors même que le pasteur procède à la délivrance « dans le nom de Jésus ». Une telle pratique rejoint ce que Sandra Fancello explique : « Techniquement, l’imposition des mains comme vecteur de la puissance divine, inspirée de la Bible, s’est enrichie d’une large palette de techniques du corps qui peuvent parfois mobiliser plusieurs personnes autour d’un « possédé » (…) Mais la délivrance est souvent solidaire d’un corps à corps qui met en scène un véritable langage du corps selon lequel le mal qui pénètre le corps doit être expulsé par le corps ». La délivrance s’inscrit plus largement dans un travail de « combat spirituel » au cours duquel c’est le corps du fidèle qui est tout entier engagé. Lors de la venue du pasteur fondateur de l’Eglise MFM au palais des congrès de Montreuil au printemps 2010 (voir la note du 7 août 2010), des femmes étaient en charge de distribuer des feuilles de « sopalin » à aux personnes présentes, afin qu’elles puissent s’éponger le front : il s’agit donc bien d’un « combat » au cours duquel on transpire, transpiration qui vient souligner l’expulsion des mauvais esprits hors du corps du fidèle.
Références bibliographiques
DROOGERS André, 2010, « Essentialist and normative approaches », in ANDERSON Allan (et al.), Studying Global Pentecostalism : theories and methods, Berkeley, University of California Press
FANCELLO Sandra, 2010, « Délivrance », in AZRIA Régine et HERVIEU-LEGER Danièle, Dictionnaire des faits religieux, Paris, Presses Universitaires de France.
FANCELLO Sandra, 2008, « Sorcellerie et délivrance dans les pentecôtismes africains », Cahiers d’Etudes africaines, XLVIII (1-2), p. 161-183.
GIFFORD Paul, 1994, Ghana’s Charismatic Churches, Journal of Religion in Africa, Vol. 24 fasc. 3, p. 241-265.
HACKETT Rosalind, 2002, « Discours de diabolisation en Afrique et ailleurs », Diogène, n° 199, p. 71-91.
MEYER Birgit, 1999, Translating the Devil. Religion and Modernity among the Ewe in Ghana, Edinburgh, Edinburgh University Press
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CE REPORTAGE EST ARCHIFAUX ,TOUS CE QUI EST ECRIT DANS CETTE PAGE EST MALSAINE ,QUE LE SEGNEUR TE PARDONNE ,PCQ TU COMBAT SON OEUVRE,ET TU PERT TON TEMPS A FAIRE DE REPORTAGE BIDON QUI T APPORTE QUE LA MALEDICTION