J’ai découvert il y a quelques semaines par le biais d’un site d’informations évangélique (Actu-Chretienne.net) la vidéo d’un « flashmob chrétien » organisé par la communauté de l’Emmanuel, une communauté catholique de sensibilité charismatique. Avant de parler plus précisément de cette vidéo, rappelons que le flashmob, « rassemblement éclair »/ « foule éclair », peut être défini comme le rassemblement temporaire dans l’espace public (le plus souvent la rue, une place, une galerie marchande…) d’un groupe de personnes, le temps d’une activité commune. L’un des flashmobs les plus célèbres reste le « Frozen Grand Central », quand des centaines de personnes se sont retrouvées dans le grand hall de la célèbre gare new-yorkaise, et se sont immobilisées sur place l’espace de quelques minutes, jetant le trouble dans l’esprit des usagers présents. Les flashmobs sont rendus possibles par l’existence des réseaux sociaux du type Facebook et des téléphones portables, qui constituent des canaux par lesquels l’information circule rapidement.
Si les flashmobs sont d’abord les initiatives de personnes qui veulent jouer avec l’espace public en y introduisant un événement incongru ou inattendu, ils ont été réinvestis (ou récupérés, comme vous voudrez)par des entreprises, des partis politique ou…. des groupes religieux. A l’occasion des fêtes de Noël 2010, un flashmob tourné dans la cafétéria d’une galerie marchande américaine montrait un groupe de chrétiens chantant à plein poumon l’Halllujah de Haendel. Je me demande d’ailleurs si cette vidéo n’a pas inspiré la communauté de l’Emmanuel car la construction est similaire : une personne commence à chanter, puis deux, puis trois….. et finalement tout le monde. Cette gradation produit un effet tout à fait saisissant. Je pense très fortement que la mise en scène est un message à elle seule : le chant qui gagne de proche en proche depuis la première personne est à l’image de la Parole qui elle aussi doit gagner les individus.
Si une telle manifestation m’intéresse c’est parce qu’elle témoigne parfaitement d’une thèse que j’ai défendu dans mon travail de thèse : la religieux n’a pas disparu de l’espace public, mais il s’est transformé, en s’adaptant au contexte culturel contemporain. Il n’est pas vraiment étonnant que les chrétiens évangéliques soient de grands organisateurs de flashmobs : ils témoignent en effet d’une étonnante capacité à s’emparer de la culture populaire pour y injecter un contenu religieux (les plus beaux exemples sont le rap chrétien ou le métal chrétien). Pas étonnant non plus que le flashmob parisien fût une initiative d’une communauté charismatique : les charismatiques catholiques empruntent beaucoup d’éléments aux techniques d’évangélisation issues des milieux évangéliques (ce qui ne signifie en aucune manière qu’ils n’innovent pas dans ce domaine). Pour ma part, je crois que nous passons d’un religieux clairement identifié comme tel dans l’espace public à des formes plus diffuses et plus labiles. Certes, médias et partis politiques chantent le couplet des mosquées et de leurs imposants minarets, mais les exemples sont rares, ramenés au nombre de mosquées et de salles de prière, et cette focalisation sur l’Islam empêche de voir des transformations plus profondes.
Le flashmob chrétien serait en quelque sorte le dernier avatar d’une forme de réinvestissement du religieux dans l’espace public : il émerge alors qu’on ne l’attend pas, et disparaît presque aussitôt avant même que les passants aient pu y comprendre quelque chose. On a là une forme de « religieux liquide » (je reprends l’expression « modernité liquide » de Zygmunt Bauman) qui contraste fortement avec un « religieux solide » qui serait davantage le religieux traditionnel marqué dans la pierre des lieux de culte clairement identifiés. De la même manière, ce type de rassemblements contraste fortement avec les processions religieuses traditionnelles : alors que ces dernières impliquent un « collectif » déjà constitué et identifié dans l’espace public, le flashmob permet de mettre en scène la naissance, la genèse, de ce « collectif ». Dans le flashmob parisien, le groupe de croyants n’est pas à part, mais il émerge au contraire de la foule des passants.
Bref, il y aurait là un beau travail à faire sur les formes contemporaines des rassemblements religieux dans l’espace public…