ci contre:L’Iglesia Evangelica Hispana Bethel dans l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve (cliché: FD, avril 2008)
Un article paru dans le quotidien La Presse en date du mercredi 14 septembre 2011nous apprenait qu’une Eglise évangélique allait devoir fermer ses portes du fait d’un nom respect des règles de zonage. Si cette affaire a attiré l’attention du journal c’est qu’elle a été portée devant la Cour Supérieure du Québec, et a opposé l’Eglise de Dieu Mont de Sion à la ville de Montréal. La décision de la Cour Supérieure du Québec est disponible ici. Sa lecture est tout particulièrement instructive car elle replace cette affaire dans un réseau d’affaires similaires ayant par le passé opposé des groupes religieux et des municipalités, et montre bien comment chaque affaire participe de la constitution d’une sorte de matrice de référence qui vont venir orienter les décisions futures.
Ce type d’affaire opposant une communauté religieuse locale et une municipalité sur un point d’urbanisme n’est pas rare : en 2004, une affaire avait opposée une Congrégation des Témoins de Jéhovah au village de Lafontaine, et en 2005 c’est une communauté juive qui était aux prises avec la Municipalité de Val-Morin. Chacune de ces affaires a pour origine l’installation de lieux de culte dans des espaces où, en vertu des règles du zonage municipal, ils ne sont pas admis. L’Église de Dieu Mont de Sion, est installée dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville depuis 1999, dans un secteur recevant du commerce « de faible intensité commerciale ». Or, si les lieux de culte ne peuvent être localisés dans ce secteur ils peuvent en revanche s’implantés dans deux autres secteurs commerciaux « de moyenne et de forte intensité commerciale », et dans les secteurs comprenant les équipements cultuels, c’est-à-dire des espaces où est implanté le patrimoine religieux historique. Les implantations en secteurs commerciaux sont soumises à deux contraintes puisque le lieu de culte ne peut-être situé qu’en rez-de-chaussée, et la superficie au plancher ne doit pas dépasser les 250 m2. Il est important de souligner que ces règles ne sont pas identiques dans tous les arrondissements montréalais : par exemple, dans l’arrondissement de Côte-des-Neiges – Notre-Dame-de-Grâce, les lieux de culte sont libres de s’implanter dans les secteurs où sont autorisés la catégorie des « commerces de faible intensité commerciale ». Nous observons donc à quelques kilomètres de distance, des variations considérables dans l’accès à l’espace des groupes religieux.
La décision de la Cour Supérieur du Québec constitue une bonne occasion pour interroger les liens qui unissent la religion et l’urbanisme au Québec en général, et à Montréal en particulier. En effet, si le constat de la diversité religieuse est désormais un lieu commun, il est nécessaire d’en mesurer les conséquences pratiques, notamment spatiales. Si la définition même de la religion ne pose pas vraiment de problème quand l’offre religieuse est limitée, elle devient particulièrement complexe quand les groupes religieux présentent des conceptions du religieux jusqu’alors inédites. Ceci serait anecdotique si nous n’observions pas de conséquences pratiques sur le terrain : toute communauté qui souhaite implanter un lieu de culte doit s’adresser au service de l’urbanisme de son arrondissement (ou de sa municipalité) de façon à obtenir un « certificat d’occupation » qui vient sanctionner la légalité du lieu de culte. Or, il existe également une catégorie de permis concernant les « activités communautaires et socio-culturelles ». Dans un contexte marqué par une forte hétérogénéité des formes du fait religieux, la question se pose alors de savoir les critères qui permettent de distinguer clairement une activité religieuse d’une activité communautaire et socio-culturelle. Cette question est d’autant plus pertinente que le certificat autorisant les activités communautaires est plus facile à obtenir compte tenu du nombre important de secteurs qui lui sont ouverts.
Le second élément qui mérite réflexion concerne plus directement les pratiques de l’espace des groupes religieux. Si, comme le rappelait la Cour Suprême du Canada dans l’affaire opposant les Témoins de Jéhovah au village de Lafontaine, la municipalité « n’a pas à assurer aux témoins de Jéhovah l’accès à un terrain qui corresponde davantage à leurs critères de sélection », les municipalités doivent au moins prendre acte des besoins et des pratiques de l’espace des groupes religieux présents. En effet, la diversité religieuse a pour corollaire une diversité des formes d’occupation de l’espace urbain par les communautés locales. Par exemple, les communautés évangéliques comme l’Église de Dieu Mont de Sion, font éclater le modèle de la paroisse traditionnelle qui structure un territoire local. Au contraire, ces Église polarisent de vastes espaces, et il n’est pas rare de rencontrer des fidèles qui parcourent plusieurs kilomètres pour se rendre jusqu’au lieu de culte. Ceci induit deux conséquences : le facteur de localisation est celui de l’accessibilité en voiture ou en transport en commun et pas tellement une position distinctive dans l’espace urbain ; ensuite, nous voyons émerger ce que nous appelons des lieux de culte « hors-sol », c’est-à-dire déconnectés de l’environnement urbain proche.
Ces quelques éléments montrent que les dimensions géographiques ont des implications sociales concrètes, implications également valables dans le champ urbanistique. En effet, comme le montrent suffisamment les aménageurs, les choix urbanistiques ne peuvent être ramenés à des considérations uniquement techniques et neutres sur le plan des valeurs mobilisées. Comme le souligne le sociologue américain David Brain : « En contexte urbain, toute décision d’aménagement est également la formulation d’un certain nombre de valeurs, et une formulation qui renvoient à des interactions sociales et politiques ». Cette réflexion en contexte américain est également pertinente au Québec. Parler de la place des lieux de culte minoritaires dans l’espace montréalais c’est donc, de fait, parler de la place de ces communautés dans la société québécoise.