« La laïcité falsifiée »: une présentation

Vous trouverez dans les lignes qui suivent une présentation succincte du dernier ouvrage de Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, publié aux éditions La Découverte.

L’historien et sociologue Jean Baubérot, co-fondateur du Groupe Sociétés Religions Laïcités[1] (GSRL) et premier titulaire d’une chaire sur l’histoire de la laïcité à l’EPHE, est un observateur (et un acteur[2]) attentif des débats passionnés dont la laïcité est l’objet. Il a alterné ces dernières années ouvrages de vulgarisation et analyses plus pointues, en particulier Laïcités sans frontières (Le Seuil, 2011), en collaboration avec la sociologue québécoise Micheline Milot. Dans l’idéal ces ouvrages doivent être lus conjointement, de manière à comprendre la logique de la démarche scientifique et citoyenne de l’auteur, et ne pas la réduire à de simples réactions à l’actualité.

Dans La laïcité falsifiée Jean Baubérot se donne pour tâche de « diagnostiquer et analyser l’instrumentalisation actuelle de la laïcité » (p.7) et d’ « émettre des propositions pour refonder une dynamique laïque » (ibid.). Deux voix se font donc entendre : celle du sociologue qui analyse et celle du citoyen engagé qui formule des propositions. Le dernier chapitre ouvre d’ailleurs la voie à l’action politique puisque l’auteur propose « un programme républicain pour refonder la laïcité ». Cette démarche en deux temps (analyse et propositions) est plus que nécessaire dans un contexte où la notion de laïcité se trouve sans cesse brandie, au point qu’elle perde toute consistance et ne soit plus qu’un slogan noyée dans du discours.

Le compte rendu proposé ici suit la progression particulièrement pédagogique  de l’ouvrage : les deux premiers chapitres sont essentiellement descriptifs et prennent pour point de départ deux événements récents ; les chapitres 3 à 6  formulent et étayent l’hypothèse de l’émergence d’une « nouvelle laïcité », une « laïcité UMPénisée » ; le chapitre 7 est celui des propositions. Enfin, le dernier chapitre permet par le biais de la notion de « laïcité intérieure » de finir sur une note apaisée et davantage introspective.

Deux événements symptomatiques

Les deux premiers chapitres  (« Quand la « laïcité » se trouve lepénisée » et « la laïcité stigmatisante de l’UMP ») sont l’occasion de montrer que « la donne de la laïcité en France a profondément changé » (p.8). Ces deux chapitres narratifs laissent entrevoir  en filigrane la thèse centrale de l’ouvrage : si la laïcité est sans cesse invoquée c’est qu’elle offre au plan du discours une caution morale à des thèmes qui peuvent souffrir d’un manque de légitimité dans le débat public. Jean Baubérot parle ainsi d’un « tour de passe-passe » (p.17) – l’invocation de la laïcité – qui permet d’offrir un statut respectable aux propos de Marine Le Pen sur les prières musulmanes dans les rues[3]. Tout se passe comme si prendre la parole au nom de la « laïcité » était forcément s’exprimer pour le bien commun. Il s’agit également d’un « tour de passe-passe » dans le cas de l’UMP : début 2011, Jean-François Copé annonce un débat qui doit porter sur l’Islam et la République. Face à la perplexité, au sein même de l’UMP, quant à l’opportunité d’un tel débat, ce dernier est rebaptisé « Débat sur la laïcité ».

A l’issue du récit du « débat débacle », le sociologue esquisse l’analyse à venir : « l’UMP commet deux fautes importantes : réduire la liberté de conscience à la seule liberté religieuse ; exfiltrer cette liberté de la laïcité » (p. 37). Afin de rendre compte du contenu de cette « nouvelle laïcité » qui prétend s’inscrire dans la filiation de la loi de 1905, le sociologue propose le mot-valise de « laïcité UMPénisée » : un tel mot-valise reflète finalement les étranges proximités entre le discours de certains membres de la droite avec l’extrême droite (Marine Le Pen n’a-t-elle pas offert à Claude Guéant une carte de membre du FN[4] ?). Par ces deux exemples Jean Baubérot montre que la notion de laïcité est avant tout mobilisée sur le plan du discours et non dans sa réalité juridique. Ceci participe du passage d’une « laïcité juridique » à une « laïcité narrative » dont il sera question plus loin.

Vers une « nouvelle laïcité » : une « laïcité UMPénisée »

Le chapitre qui suit, « Au cœur du politique, laïcité et démocratie », ouvre l’analyse proprement dite et associe à l’approche sociologique une mise en perspective historique. C’est d’ailleurs cette double lentille qui fait la force du livre. En historien, l’auteur peut habilement débusquer les reconstructions historiques qui permettent aux tenants de la « nouvelle laïcité » de créer une fausse continuité entre la laïcité historique et leur propre agenda politique. Cette perspective historique conduit l’auteur à comparer deux idéaux-types de la laïcité : « la laïcité historique : l’État laïque permet la liberté du citoyen » et « la laïcité UMPénisée : bloquée pour l’Etat, restrictive pour le citoyen ». Cette dernière « effectue le mouvement inverse » (p. 54) de la laïcité de 1905 : « bloquée au niveau de l’État, elle restreint la liberté de conscience de certains citoyens » (ibid.).

Le chapitre 4 décrit le passage « d’une laïcité politique à une laïcité identitaire » qui se traduit par un usage erroné de l’Histoire. Jean Baubérot prend deux exemples : le traitement de l’histoire par Nicolas Sarkozy et l’historique livré par le Haut Conseil à l’Intégration en préambule de sa « charte de la laïcité en 2007[5] ». Ce second exemple, particulièrement frappant, illustre parfaitement la tension qui se joue entre « laïcité juridique » et « laïcité narrative[6] »: alors que la première a pour but la mise en place d’un cadre juridique au sein duquel s’effectuent les relations entre l’État et les cultes, la seconde s’articule autour des dimensions historiques et présentes de la laïcité : Par le mélange du politique et du juridique on aboutit une « mise en récit » de la laïcité qui permet de justifier des discours et des normes au nom de la continuité historique et du respect de la loi[7]. L’usage de l’Histoire par le HCI se traduit par des affirmations du type : « Objet d’étonnement pour le monde, la loi de séparation a suscité des émules et fait naître des imitations (…) : au Mexique avec la révolution républicaine ». Le problème est que la séparation mexicaine date de… 1859. Bref, sous la plume du HCI, seul le contexte français – rhétorique de l’exceptionnalisme sociopolitique – permettait l’émergence d’un tel cadre juridique et politique.

Le chapitre 5, « Les deux laïcités et l’égalité des sexes », permet à l’historien de revenir sur l’association régulièrement établie entre laïcité et égalité des sexes. À l’issue de la présentation de Jean Baubérot devant la « mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national », le député UMP Jacques Myard lui reprocha d’avoir « considéré le problème sous le seul angle de la laïcité, ignorant l’atteinte à la dignité de la personne et faisant peu de cas du problème de l’égalité des sexes[8] ». L’auteur aborde ce débat d’une manière originale puisqu’il établit  une comparaison entre certains discours tenus sur les femmes musulmanes aujourd’hui et ceux tenus à propos des femmes catholiques il y un siècle. Jean Baubérot rappelle en effet que l’anticléricalisme français s’est construit en partie autour du stéréotype de la femme soumise à la volonté du prêtre. Et l’auteur de citer Jules Ferry : « Il faut choisir, citoyens : il faut que la femme appartienne à la science, ou qu’elle appartienne à l’Église[9] ». A la suite de la première « affaire du foulard » en 1989, ce thème se trouve réactivé et le thème de l’égalité des sexes devient un attribut majeur de la laïcité, dès lors qu’il est question de l’Islam. Cette référence commode permet du même coup d’occulter d’autres formes de sexismes, notamment celui qui s’exprime à l’Assemblée Nationale.

La « nouvelle laïcité, produit du « monstre doux »

Sur son blog, Jean Baubérot était longuement revenu[10] sur l’essai de Raffael Simone, Le monstre doux : l’occident vire-t-il à droite ? Il expliquait que « La perspective de Simone consiste à  analyser les conséquences du développement d’une culture globale de masse « despotique », désormais au pouvoir dans les démocraties occidentales ». Le « monstre doux » dont il est question est un hommage à Tocqueville qui écrivait de manière quasi prophétique : « si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter » (De la démocratie en Amérique, t. II, IVe partie, Chap. V).  Simone analyse comment les espaces publics des sociétés occidentales sont dominés par des impératifs d’entertainment : l’information et l’analyse doivent se soumettre à un principe de séduction et de réactivité. Les lecteurs de Philippe Muray – qui n’est heureusement pas réservé aux seuls réactionnaires – trouveront des points de convergences entre Simone et l’auteur de Festivus festivus, en particulier dans le constat navré d’un impératif festif omniprésent.

Si Jean Baubérot prend le temps de revenir sur l’ouvrage de Simone c’est qu’il postule que la « nouvelle laïcité » n’est rien d’autre que le rejeton du « monstre doux » dans la mesure où celle-ci est largement tributaire et redevable d’un système médiatique dont le ressort principal est le spectacle et non l’analyse. Il écrit ainsi : « les éléments de langage et la « com’ », l’emportent sur l’expression d’une pensée, le développement d’une argumentation, contribuant à l’effacement social du sens » (p. 105). D’une façon plus générale, la « nouvelle laïcité » se déploie dans le cadre d’une culture télévisuelle qui impose non seulement un primat de l’image, mais surtout, une temporalité spécifique dans laquelle l’information doit être traitée « en temps réel ». Un tel impératif entre en contradiction avec l’effort de l’analyse qui exige précisément du temps et une prise de recul : penser prend du temps, et la télévision n’en a malheureusement pas[11].

Quelques pistes pour pa/enser la laïcité

Dans le chapitre 7, le sociologue propose  « un programme républicain pour refonder la laïcité ».  Il s’organise autour de six propositions principalement adressées à la gauche de façon à ce qu’elle se réapproprie la laïcité. L’une d’entre elles retient plus particulièrement l’attention : « ne pas confondre laïcité et sécularisation ». Comme l’auteur le rappelle : « la laïcité est de l’ordre du politique, et même quand la culture y a sa part, il s’agit d’une culture politique. La sécularisation est de l’ordre du socioculturel. Elle est liée à une dynamique sociale ». Avec la « nouvelle laïcité » nous assistons à une forme d’ingérence de la laïcité dans le champ des dynamiques de sécularisation, entendue comme un processus évolutif complexe des rapports entre les religions et la société globale.


[2][2] Il fut membre de la commission de réflexion « sur l’application du principe de laïcité dans la République », mieux connue sous le nom de « commission Stasi », et fut auditionné par la « mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national ». L’annexe 2 du livre est d’ailleurs le texte de son audition du 21 octobre 2009. Les échanges qui s’ensuivirent méritent une attention toute particulière et sont disponibles en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-miburqa/09-10/c0910009.asp#P2_103.

[3] Les prières dans certaines rues du 18ème arrondissement de Paris avaient été largement commentées par le site Riposte laïque qui avait proposé des vidéos, des photographies et même une cartographie des rues concernées : http://ripostelaique.com/dossier-sur-les-prieres-musulmanes-illegales-dans-les-rues-rl185.html

[5] Texte disponible à l’adresse suivante : www.hci.gouv.fr/IMG/pdf/AVIS_Charte_Laicite.pdf

[6] Cette distinction est proposée par Alessandro Ferrari : 2008, « De la politique à la technique : laïcité narrative et laïcité du droit. Pour une comparaison France/Italie », in B. Basdevant Gaudemet, F. Jankowiac (dirs.), Le droit ecclésiastique en Europe, fin du xviiie-xxe siècles, Louvain, Peeters.

[7] Il est d’ailleurs frappant de constater le vocabulaire quasi-religieux employé dès lors que l’on parle de la loi de 1905.

[8] Nous reproduisons l’intégrale de l’intervention de Jacques Myard, tant elle manifeste une forme de mépris des travaux universitaires : « Monsieur le Professeur, j’ai écouté avec grand intérêt votre leçon magistrale, mais elle me semble à cent lieues d’une certaine réalité. Vous avez considéré le problème sous le seul angle de la laïcité, ignorant l’atteinte à la dignité de la personne et faisant peu de cas du problème de l’égalité des sexes. Je veux bien qu’on distingue entre permis, toléré et interdit, qu’on invite à persuader et à négocier, mais sur quelles bases négocier et persuader, à partir de quels principes ? Vous ne pouvez nier qu’on soit confronté à un phénomène de communautarisation active, répondant à une volonté politique, ou bien je douterais que vous soyez allé sur le terrain ».

[9] « Discours sur l’égalité d’éducation », conférence prononcée salle Molière à Paris, le 10 avril 1870.

[11] Jean Baubérot ne l’évoque pas, mais on ne peut s’empêcher de penser au petit texte de Pierre Bourdieu Sur la télévision, ainsi qu’à son passage à l’émission « Arrêt sur Image » en 1996.

12 réflexions au sujet de « « La laïcité falsifiée »: une présentation »

  1. Au fait, que pensez vous du dernier livre de Jean Baubérot ?
    N’y aurait il pas deux fautes page 86 ?
    -p86 : « L’universalisme abstrait a été sexiste ». Faute ? De quel universalisme parle-t-on ? Universalisme républicain, religieux ou philosophique ?
    -P86 : « le passage d’une Déclaration des droits particulariste ». Particulariste est un adjectif, ne devrait il pas s’accorder avec le nom ?

    cordialement

    • Vous êtes un lecteur attentif. Personnellement j’ai beaucoup aimé ce livre, même si je suis convaincu qu’il gagne à être lu avec Laïcités sans frontières qui offre une assise théorique solide. Sur la forme, l’écriture est alerte et ne manque pas d’humour, ce dont JB peut se permettre.
      Pour les fautes, je crois qu’il s’agit de l’universalisme républicain, et que l’adjectif particulariste renvoie à la déclaration, et non aux droits.

      • Bonjour,
        Je possède également l’ouvrage de JB et Micheline Millot. C’est un ouvrage plus complexe. Je n’en ai lu qu’une partie. Le livre que je préfère parmi ceux qu’a écrit JB est :  » La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours ». Le ton général de cet ouvrage est pour le moins taquin voire caustique ce qui ne l’empêche pas de fournir une multitude de faits qui touchent à la laïcité et la république française.

        J’ai apprécié le dernier ouvrage de JB. Cependant, le reproche qu’on peut faire à l’auteur c’est qu’il a une vision stratégique mais pas tactique.

  2. Bonjour, excellent sujet !

    Comment analysez-vous cette réponse de Jean-Luc Mélenchon, partisan d’une République laïque en indiquant que l’expression des convictions religieuses est une affaire privée, et interrogé par des journalistes de Témoignage Chrétien ?

    A la question « Ne pensez-vous pas que, dès lors qu’on affirme que les religions n’ont pas vocation à exercer un pouvoir sur la cité, leur expression publique et diversifiée peut contribuer à la construction du vivre ensemble, à la sortie de l’individualisme », il répond :
    « Il y a un malentendu entre nous. La laïcité, c’est la séparation de l’Égli­se et de l’État, point. Je ne vais pas au-delà de ça. De quoi s’agit-il : il faut libérer l’espace de la discussion publique de l’emprise des vérités révélées. Institutionnellement, les Égli­ses ont toujours tendance à vouloir imposer leurs normes singulières comme normes générales. L’Église catholique s’oppose au droit à l’avortement, exerce des pressions inouïes sur les gouvernements. Cette tentation est consubstantielle au dogmatisme, qui ne peut admettre un point de vue contraire.
    Ensuite, pourquoi est-ce que je m’oppose à l’idée du pape du « droit » de la religion à figurer dans l’espace public ? En quoi consiste ladite figuration ? La pratique du rite en public ? En sortant des lieux de culte, on commence à prendre pied dans l’espace public. Il n’en est pas question. Ni pour les uns ni pour les autres. Mais je ne mets pas la laïcité à toutes les sauces ! Je ne pense pas que la laïcité ait à voir avec les abattoirs. Ni avec l’interdiction d’une tenue qui est un mauvais traitement ».
    http://www.temoignagechretien.fr/ARTICLES/Politique/Jean-Luc-Melenchon&nbsp%3B-%C2%AB&nbsp%3BL%E2%80%99election-n%E2%80%99est-qu%E2%80%99une-etape&nbsp%3B%C2%BB-/Default-35-3688.xhtml

    Vous citez enfin, en rapport avec la laïcité, le « monstre doux « , titre de l’ouvrage de Raffaele Simone dont il est pertinent de rappeler l’existence. Ce phénomène est présenté comme s’imposant à la modernité à travers « trois commandements »(ou mots d’ordre) qui s’opposent aux exhortations de 2 Tim.2v3-6 : « Souffre avec moi, comme un bon soldat de Jésus-Christ. Il n’est pas de soldat qui s’embarrasse des affaires de la vie, s’il veut plaire à celui qui l’a enrôlé ; et l’athlète n’est pas couronné, s’il n’a combattu suivant les règles. Il faut que le laboureur travaille avant de recueillir les fruits. »
    A l’inverse, le « premier commandement » du « monstre doux » est : consommer. « C’est la clef du système », explique Raffaele Simone dans un entretien pour Le Monde. « Le premier devoir citoyen. Le bonheur réside dans la consommation, le shopping, l’argent facile, on préfère le gaspillage à l’épargne, l’achat à la sobriété, le maintien de son style de vie au respect de l’environnement. Le deuxième commandement est s’amuser. Le travail, de plus en plus dévalorisé, devient secondaire dans l’empire de la distraction et du fun. L’important, c’est le temps libre, les week-ends, les ponts, les vacances, les sorties, les chaînes câblées, les présentatrices dénudées (et pas que dans la télé de Berlusconi), les jeux vidéo, les émissions people, les écrans partout. Le divertissement scande chaque moment de la vie, rythme le calendrier jusque chez soi, où la télévision, la console de jeu et l’ordinateur occupent une place centrale. (…) Même les actualités les plus graves se transforment en divertissement. (…) Les débats politiques se font guerre de petites phrases, parade de people(…) La démultiplication des gadgets, des portables, des tablettes fait que nous sommes encerclés, noyés, dissous dans les écrans. Sous le régime du « monstre doux », la réalité s’efface derrière un rideau de fun ». (…)
    Le troisième commandement est « le culte du corps jeune. De la jeunesse. De la vitalité. L’infantilisation des adultes. Ici le « monstre doux » se manifeste de mille manières, terrorise tous ceux qui grossissent, se rident et vieillissent, complexe les gens naturellement enrobés, exclut les personnes âgées… »

    L’auteur fait enfin ce constat pessimiste :
    « Un monde où le consommateur a remplacé le citoyen, où le divertissement supplante le réalisme et la réflexion, où l’égoïsme règne me semble favorable à la droite nouvelle, qui d’ailleurs le facilite et l’entretient, car ses valeurs comme ses intérêts sont associés à la réussite de la consommation et de la mondialisation de l’économie, pleine de promesses(…) cette droite nouvelle, consommatrice, people, médiatique, liftée, acoquinée aux chaînes de télévision, appelant à gagner plus d’argent, défendant les petits propriétaires, décrétant comme ringardes les idées d’égalité et de solidarité, méfiante envers les pauvres et les immigrés, est plus proche des intérêts immédiats des gens, plus adaptée à l’ambiance générale de l’époque, plus  » naturelle  » en quelque sorte. » A l’inverse, « défendre les idées de justice, de solidarité, d’aide aux démunis et se préoccuper du long terme et de l’avenir de la planète apparaît aujourd’hui comme une attitude difficile, courageuse, mais hélas contraire à l’intérêt égoïste de court terme. Cela coûte, exige des efforts. »
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/09/12/pourquoi-l-europe-s-enracine-a-droite_1409667_823448.html

    Dans le prolongement de cet extrait, je citerai enfin le documentariste Pierre Carles (voir un entretien que l’on peut découvrir sur ACRIMED http://www.acrimed.org/article3488.html
    ) : « Ce qui est en train de se mettre en place autour du téléphone portable, des jeux vidéo et d’internet, avec l’état de dépendance que cette industrie génère chez le consommateur, constitue une entreprise d’occupation des esprits à côté de laquelle la télévision à l’ancienne est de la rigolade. Il ne s’agit même plus de relayer le point de vue des dominants, comme le fait encore aujourd’hui la télévision, mais d’anesthésier le public en lui disant : n’y pense même pas, avale de la musique au mètre et de l’image à la chaîne… À mon avis, la critique de l’information telle que nous l’entendons aujourd’hui sera totalement caduque dans dix ou quinze ans. Ce qu’il nous faudra critiquer, demain, c’est la société de la dépendance, celle qui nous rend accro à des jouets superflus pour mieux nous empêcher de réfléchir par nous-mêmes. C’est là où réside notre faiblesse : le capitalisme, lui, sait créer des utopies. L’iPhone, qu’on le veuille ou non, est une utopie, la promesse d’un monde meilleur où tous les services et les plaisirs seront à portée de main, sans effort, quasi-gratuitement. Un monde meilleur synonyme de sang et de larmes pour la majorité de la population mondiale… Mais nous, qui ne croyons pas en ces utopies bidon, nous ne parvenons pas à fabriquer les nôtres. Nous sommes incapables de contrecarrer le capitalisme avec une contre-utopie supérieure à celle qui nous submerge. (…) »

    Beaucoup de remarques, mais je vous remercie par avance !

    • Sa réponse témoigne d’une certaine confusion dans l’usage de l’expression « espace public » qui peut prendre trois sens: domaine des affaires publiques relevant des compétences de l’Etat, sphère de discussion démocratique dans laquelle s’exprime la pluralité des points et des valeurs, et enfin, un espace géographique potentiellement ouvert à tous les citoyens.

      Je relève une phrase: « En sortant des lieux de culte, on commence à prendre pied dans l’espace public ». Il joue ici sur l’ambiguïté de l’expression espace public. L’idée d’un religieux relégué dans les lieux de culte dépasse, je crois, ne va pas dans le sens de la loi de 1905. D’ailleurs, les exemples d’activités religieuses légales se tenant dans l’espace public sont nombreux: la Marche pour Jésus, le Chemin de Croix lors de la semaine Sainte, les fêtes juives dans les Buttes Chaumont, les processions Hindous dans le 10ème arrondissement…

  3. Effectivement, il y a une confusion. Néanmoins, le même Jean-Luc Mélenchon explique, lors d’une interview pour « La Vie »(encore un journal chrétien, plus particulièrement catholique) qu’il avait « évoqué la tradition chrétienne, Saint Martin qui partage son manteau, pour l’opposer aux chrétiens des croisades de la droite extrême et de l’extrême droite. Il y a le choix entre deux types de christianisme, celui qui partage est le bienvenu chez nous. »
    Est-ce à dire qu’il encourage l’Eglise à (re)découvrir sa véritable vocation et à retrouver sa façon de s’engager dans « l’espace public » et dans « la cité » ?
    Il me semble qu’il y a là un défi lancé aux chrétiens de la part de quelqu’un qui s’est beaucoup exprimé dans des journaux chrétiens, dans le sens que les chrétiens(qu’ils soient catholiques, protestants ou évangéliques, je suppose)ne doivent pas être « politisés » mais investir le « politique »(au sens premier du terme)dans un sens qui leur est propre, selon, sans doute le fameux « rendez à César ce qui est à César et ce qui est à Dieu à Dieu ».
    Je ne sais pas si je suis clair.

  4. Il y a une phrase de Ricoeur je crois qui résume à mon sens une forme possible d’engagement politique du Chrétien: « Ne pas agir en tant que Chrétien, mais parce ce que Chrétien ». A méditer.

  5. Je suis tout à fait d’accord.
    Une autre citation, dont je ne connais pas l’auteur : « vis de façon à poser des questions » ou quelque chose approchant.
    A noter enfin ce proverbe peu cité et qui s’adresse au roi Lemuel : « Ouvre ta bouche pour le muet, pour la cause de tous les délaissés. Ouvre ta bouche, juge avec justice, Et défends le malheureux et l’indigent. »(Prov.31v8-9)

    Pour qui, pour quoi, nous chrétiens, ouvrons-nous la bouche ?

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