Dimanche de Pâques endeuillé dans une communauté évangélique de Stains

ci-contre: l’entrée d’une Eglise de Plaine Saint-Denis (cliché: FD, juin 2008).

Dimanche 8 avril, ce qui devait être un culte de fête à l’occasion de Pâques, s’est transformé en drame quand le plancher du bâtiment qui accueillait une communauté évangélique s’est effondré sous le poids des fidèles réunis. J’espère que ce terrible accident va permettre d’aborder de front la question de l’accès à l’espace des communautés religieuses. Celle-ci est ancienne: en 2000,  le Haut Conseil à l’intégration soulignait le différentiel de traitement de fait entre les groupes religieux historiques et les communautés d’implantation récente. En 2006, le « rapport Machelon » allait dans le même sens: « Mais que penser cependant du principe selon lequel la « République respecte toutes les croyances » dès lors que les fidèles des deux confessions en expansion récente sur l’ensemble du territoire, l’Islam et le Christianisme évangélique, rencontrent de réelles difficultés pour pratiquer leur culte ».

A ma connaissance, le « rapport Machelon » fut le premier texte issu d’une commission officielle, dans lequel le regard ne portait pas uniquement sur l’Islam, mais prêtait attention à d’autres formes d’expressions religieuses, en particulier les évangéliques et les pentecôtistes. En 2012, on peut se demander si une certaine focalisation – malheureusement pas forcément pour les bonnes raisons – sur la seule religion musulmane n’a pas fait oublié que le paysage religieux français s’est métamorphosé en quelques décennies, et que les formes spatiales qu’il prend ont beaucoup évolué, en particulier dans les grandes métropoles.Ma recherche de thèse m’a conduit à participer à de nombreux lieux de culte évangéliques et pentecôtistes en Seine-Saint-Denis (Saint-Denis, Plaine Saint-Denis, La Courneuve en particulier). Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai découvert des Églises dans des endroits improbables, au point que je me demandais si je ne m’étais pas trompé. Dans un bâtiment vétuste, je poussais une porte et entrais dans un lieu de culte, comme surgit de nulle part.

Le drame de dimanche illustre ce que j’ai appelé dans ma thèse la « précarité spatiale » (hommage à la notion de « précarité protestante » développée par Jean-Paul Willaime). Cette précarité est à la fois matérielle et institutionnelle. Matérielle, parce que les communautés sont souvent jeunes et de petites tailles, et que les loyers sont très élevés. Dans les meilleurs des cas, les fidèles parviennent à réunir suffisamment d’argent pour louer (parfois acheter) un local décent qui respecte les normes de sécurité pour l’accueil du public; dans les pires des cas, les Églises acceptent de s’installer dans des locaux insalubres voués à la destruction à moyen terme.

Dans mon travail de thèse, je me suis intéressé aux relations entre les Églises et les mairies. Je souhaite ici revenir rapidement sur deux préjugés:

Les mairies, notamment celles de gauches, entravent les Églises évangéliques. Il est indéniable que l’image de l’élu de gauche (et notamment l’élu communiste) farouchement laïc, voire anti-religieux demeure encore très répandue, et que les décisions municipales doivent se comprendre sur le plan d’une véritable lutte contre
la religion. Nous avons entendu l’hypothèse d’une position anti-évangélique des élus
communistes dans la bouche de Didier Leschi, directeur du Bureau des Cultes au
ministère de l’Intérieur au moment où je débutais ma recherche. Une telle
hypothèse ne me paraît pas vraiment convaincante dans la mesure où, si elle était vraie, il serait difficile d’expliquer pourquoi ce sont précisément à Saint-Denis ou à Montreuil, que l’on observe le plus grand nombre de communautés évangéliques et pentecôtistes. Et s’il y a des conflits dans ces communes, c’est sans doute, précisément, parce que les Églises sont présentes en grand nombre, multipliant ainsi les occasions de controverses. Un pasteur m’avait raconté que la municipalité de Levallois-Perret (pas vraiment à gauche) lui avait conseillé de s’installer à Saint-Denis, puisque les autres Églises y étaient déjà.

– les mairies favorisent les communautés musulmanes, mais pas les Églises. J’ai déjà abordé ce point il y a quelques semaines. Mon hypothèse est que les Églises évangéliques sont à un moment charnière, le même qu’on connu les communautés musulmanes il y a une vingtaine d’années: se faire connaître et se faire reconnaître, de manière à apparaître comme des interlocuteurs crédibles et légitimes auprès des mairies. C’est d’ailleurs dans ce travail « politique » que des instances comme la FPF ou le CNEF ont un rôle à jouer. il semble que le mode de gestion du religieux en France s’accorde précisément mal avec cette indépendance. On l’a vu dans une certaine mesure avec l’exemple du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman): si son existence peut être vue comme un coup politique, elle témoigne également d’un besoin de l’Etat d’avoir en face de lui des institutions religieuses structurées, et non des « électrons libres ». Sur le terrain, j’ai été frappé par une même remarque des élus locaux: « nous avons besoin d’un interlocuteur unique et non pas de personnes qui viennent parler au nom de leur communauté ». Ce qui apparaît parfois comme une hostilité des mairies envers les Évangéliques est davantage leur méconnaissance du milieu protestant évangélique et l’accent mis sur l’appartenance institutionnelle comme gage de légitimité. L’indépendance est ainsi fréquemment interprété comme le signe d’une dérive sectaire.

Au final, le drame de dimanche conduit à interroger le rôle des pouvoirs publics dans l’encadrement des expressions spatiales des faits religieux, mais également les responsabilités des pasteurs. La meilleurs manière de rendre justice aux deux personnes décédées est d’engager un dialogue ouvert et constructif entre les Églises et les mairies.

4 réflexions au sujet de « Dimanche de Pâques endeuillé dans une communauté évangélique de Stains »

  1. « Elle témoigne également d’un besoin de l’Etat d’avoir en face de lui des institutions religieuses structurées, et non des “électrons libres”. Sur le terrain, j’ai été frappé par une même remarque des élus locaux: “nous avons besoin d’un interlocuteur unique et non pas de personnes qui viennent
    parler au nom de leur communauté”. Ce qui apparaît parfois comme une hostilité des mairies envers les Évangéliques est davantage leur méconnaissance du milieu protestant évangélique et l’accent mis sur l’appartenance institutionnelle comme gage de légitimité. L’indépendance est ainsi fréquemment interprété comme le signe d’une dérive sectaire. »

    En effet, c’est une bonne remarque. Je vous remercie pour cette analyse qui a le mérite de pointer certains éléments d’une réalité. On comprend mieux ce désir des élus locaux, surtout si l’on considère que certaines églises « poussent comme des champignons » ou ferment aussi vite qu’elles se sont ouvertes, dans des conditions pas toujours respectueuses des normes de sécurité.

    J’aime beaucoup cette phrase de conclusion : « La meilleurs manière de rendre justice aux deux personnes décédées est d’engager un dialogue ouvert et constructif entre les Églises et les mairies ».
    Effectivement.

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