De retour de Chicoutimi

Le colloque de la Société québécoise pour l’étude de la religion qui s’est tenu dans le cadre de la conférence de l’ACFAS fut riche en présentations de qualité et en rencontres. Comme souvent dans ce type d’événements, l’essentiel se joue en dehors du colloque, quand on se retrouve autour d’une bière en fin de journée.

Ce colloque fut pour moi l’occasion de partager les premiers éléments d’une recherche ethnographique que je consacre actuellement à trois Églises québécoises: La Chapelle, Église 21 et Resurgent Church. Toutes trois possèdent plusieurs traits communs: elles sont de création récente, attirent beaucoup de jeunes adultes et de jeunes familles, développent un discours sur un Réveil québécois (avec d’ailleurs un imaginaire de la « Révolution tranquille ») et se réunissent dans des cinémas, des théâtres et des auditoriums dans des établissements d’éducation.

Le thème du colloque étant « Les espaces du religieux« , je me suis concentré sur ce dernier aspect. J’y ai défendu l’hypothèse que cette localisation n’est pas tant une situation subie qui témoignerait de la difficulté des groupes religieux à trouver des locaux (situation qui existe bien évidemment), mais s’inscrit au contraire dans une stratégie missionnaire et ecclésiale. D’où le titre de ma présentation: « Les Églises sans églises : le renversement des contraintes spatiales en opportunités missionnaires ».

Je n’entre pas dans le détail de ma présentation, mais me bornerai à souligner trois éléments:

  • j’ai mobilisé des travaux portant sur le courant des « Églises émergentes » (notamment ceux de Gerardo Marti, par exemple son article « New Concepts for New Dynamics: Generating Theory for the Study of Religious Innovation and Social Change », dans le Journal for the Scientific Study of Religion, 2017)  et des « Seeker sensitive Churches » (en particulier les livres de Kimon Howland Sargeant, Seeker sensitive churches: Promoting Traditional Religion in a Nontraditional Way et Donald Miller, Reinventing Protestantism: Christianity in the New Millenium). Je précise que mon objectif n’était pas de placer les trois Églises étudiées dans une des deux catégories, mais d’utiliser ces dernières comme des outils rendant possible le travail d’analyse.
  • je me suis souvenu de mes cours de khâgne pour mobiliser la notion de « chicane sélective » proposée par Roland Barthes dans son beau petit ouvrage Le plaisir du texte. Par cette expression, Barthes désigne les dispositifs qui s’intercalent entre le lecteur et une oeuvre, de sorte que l’accès ne s’y fait pas sur un même pied d’égalité (c’est le « to the happy few » stendhalien »). Pour ma part, j’ai souligné que les trois Églises étudiées font en sorte de réduire au maximum les « chicanes sélectives » qui pourraient rebuter certaines personnes à les fréquenter. D’où le fait d’organiser les services religieux dans des lieux du quotidien. Or, on pourrait facilement montrer que le nombre de traditions religieuses reposent précisément sur une distinction entre ceux qui en sont et ceux qui n’y sont pas. Par exemple, lors d’une messe catholique, le fait de se lever et de s’asseoir « au bon moment » constitue un exemple de chicane.
  • Je me suis risqué à aborder ces Églises sous l’angle de la « performance » (pas seulement parce que les services religieux ont lieu dans des salles de spectacles), en montrant que les lieux, dans leur matérialité, facilitent la « performance » qu’est le service religieux. J’ai développé rapidement (sans doute trop) le rôle de la musique qui est sans doute le second pilier de ces Églises, le premier étant la personnalité des pasteurs et le contenu des « messages » (terme que je préfère à celui de « prêche », très peu utilisé dans ces Églises). J’ai profité des conseils avisés de Jessica Roda, brillante ethnomusicologue, qui m’a conseillé de lire les ouvrages de Victor Turner, Anthropology of Performance, et de Richard Schechner, Essays on Performance Theory). Le concept de performance m’apparaît prometteur pour penser conjointement les lieux et les activités qui s’y déroulent. Il permet de comprendre les propos tenus par l’un des pasteurs un dimanche matin à Resurgent Church: « It was a cinema; it is now the house of God »!

3 réflexions au sujet de « De retour de Chicoutimi »

  1. Bonjour,

    Je vous remercie pour vos analyses, sur un thème peu courant mais qui ne manque pas d’intérêt.

    Sinon, nous constatons effectivement que les « messages » se sont substitués aux « prêches » : quelle différence faites-vous entre les deux termes ? Quelle conséquence voyez-vous dans ce changement de vocable ?
    D’autre part, le concept de « performance » vous « apparaît prometteur pour penser conjointement les lieux et les activités qui s’y déroulent ». Doit-on s’en réjouir (de la place prise par « la perf’ » dans l’Eglise) ? Et doit-on se réjouir que les Eglises « fassent du cinéma », puisque réunies dans des cinémas ?

    Je vous remercie par avance de votre réponse.

    Fraternellement,
    Pep’s

    • À ce stade de ma recherche je pense que le terme de « message » permet de rendre plus accessible l’Église. C’est un mot plus neutre qui es facilement compris, contrairement au terme « prêche » qui renvoie immédiatement à une certaine tradition. Or, ces Églises entretiennent un rapport ambiguë avec la tradition.
      Le terme de « performance » me semble intéressant car il permet de rendre compte de l’ensemble des activités de ces Églises. Quand je l’utilise, il n’y a pas de jugement de valeur. Mais je commence tout juste à m’intéresser à cette porte d’entrée particulière.

  2. Je vous remercie pour vos réponses et vous souhaite une excellente recherche, notamment au-delà de « cette porte d’entrée particulière ».

    Fraternellement,
    Pep’s

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