Edward Soja et la « justice spatiale »

Le mardi 22 novembre 2011à 10h00, aura lieu la première séance d’un séminaire interdisciplinaire consacré à la notion de justice spatiale. Il est organisé conjointement par la Chaire de recherche du Canada en étude du pluralisme religieux et de l’ethnicité,  le Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal (CREUM), et le  CEETUM (axe 4 de recherche: ”Pluralités religieuses et dynamiques sociales”. Si j’en parle ici, c’est tout simplement parce que je suis en charge de son organisation.

Ce séminaire aura pour point de départ l’ouvrage du géographe américain Edward Soja, Seeking Spatial Justice, paru en 2010.

La séance se déroulera dans les locaux du CREUM au 2910 boulevard Edouard Montpetit (Métro Université de Montréal), au 3ème étage.

Vous trouverez ci-dessous un le texte de présentation du séminaire.

Eléments théoriques

Le séminaire porte sur le travail du géographe américain Edward Soja et plus particulièrement sur son dernier ouvrage publié en 2009 : Seeking Spatial Justice (SSJ). Comme l’indique le titre, la notion centrale de l’ouvrage est celle de « justice spatiale » (JS) proposée par Soja en 2000 dans le dernier chapitre de PostmetropolisSSJ est l’occasion de revenir sur la genèse de cette notion et sur ses champs d’application, au moment même où elle rencontre un certain succès chez les géographes anglo-saxons, mais également français[1], et constitue le point nodal d’une approche engagée de la discipline. Afin de bien en saisir les enjeux, il est utile de préciser que la JS ne saurait se limiter à une spatialisation de la justice sociale, c’est-à-dire la seule affirmation du caractère éminemment géographique de toute activité sociale. Si elle n’était que cela, la JS ne présenterait que peu d’intérêts, et il serait difficile de comprendre l’ensemble des investigations théoriques auxquelles elle a donné lieu.

Comprendre ce qu’est la JS exige d’effectuer un détour par ce que les géographes désignent comme le « tournant spatial » au sein des sciences humaines et sociales. Edward Soja n’a d’ailleurs eu de cesse au cours de sa carrière de rappeler la nécessité de ce « tournant » (Soja, 1980 et 2009), non par opportunisme disciplinaire, mais davantage parce que la dimension spatiale de l’humain reste selon lui un impensé, et que nombre d’enjeux contemporains doivent être analysés par le prisme géographique (le réchauffement climatique et les débats autour du développement durable en constituent de bons exemples). Les tenants du « tournant spatial » rappellent que l’espace ne constitue pas uniquement une scène passive sur laquelle se déroulent des activités sociales. Au contraire, l’espace agit sur la société. Ainsi, lorsque Soja parle de « dialectique socio-spatiale » (Soja, 1980) il insiste sur cette relation à double sens entre le social et le spatial. Sur ce point, Soja s’inscrit dans le sillage d’un Henri Lefèbvre qui, dans une approche marxiste, affirmait que si le capitalisme avait produit des espaces spécifiques (la ville industrielle et son organisation fonctionnelle), ces espaces, en retour, permettaient au capitalisme de se maintenir dans le temps et de se reproduire[2].

Qu’en est-il de la JS ? Dès l’introduction de SSJ, Soja souligne que la géographie de la justice « is an integral and formative component of justice itself, a vital part of how justice and injustice are socially constructed and evolve over time (p. 1)». Il existe ainsi selon lui des « consequential geographies » de la justice, de sorte que ces « consequential geographies are not just the outcome of social and political processes, they are also a dynamic force affecting these processes[3] in significant ways (p. 2) ». Cette remarque fait directement écho à la notion de dialectique socio-spatiale et permet d’asseoir solidement la réflexion sur la JS qui reste trop souvent mal comprise ou simplement limitée à une approche descriptive des expressions géographiques de la justice sociale.

Objectifs du séminaire

L’ouvrage de Soja se prête bien à l’exercice du séminaire dans la mesure où il se présente comme un « livre carrefour » qui convoque des auteurs venus de différentes disciplines. Soja s’appuie aussi bien sur des philosophes comme John Rawls ou Iris Marion Young que sur des penseurs de l’espace comme Henri Lefèbvre et David Harvey. C’est précisément parce que Soja situe sa démarche à la croisée de la géographie et d’une approche philosophique de la justice, que le séminaire souhaite réunir des géographes et des philosophes afin de voir dans quelle mesure cette confrontation disciplinaire alimente leurs réflexions respectives.

Le second objectif du séminaire se situe autour d’un « objet géographique » particulier, la ville, qui constitue un excellent « lieu commun » pour les géographes et les philosophes. Si la géographie urbaine est aujourd’hui une branche incontournable, en particulier parce qu’elle reflète les évolutions récentes des sociétés occidentales urbanisées, il en va de même pour la philosophie de la ville, notamment pour des questionnements gravitant autour d’une « philosophie politique de la ville » (Turmel, 2003 ; Weinstock, 2009). Dans SSJ, Soja rappelle en quelques mots que l’expérience de la démocratie athénienne est inséparable du cadre urbain qui est autant l’espace au sein duquel elle se déploie que le produit du jeu démocratique (p. 74-75). Il s’agira donc pour nous de voir comment les géographes se sont appropriés les travaux de la philosophie politique récente et ont ainsi effectué un tournant éthique. Et réciproquement, qu’est-ce que la géographie peut apprendre aux philosophes et aux éthiciens réfléchissant à une philosophie politique de la ville ?

En dernière instance, le texte de Soja ne se situe pas uniquement sur un plan théorique, mais opère un déplacement sur le terrain pratique. Ce faisant, Soja rappelle que l’ensemble de sa réflexion depuis le début des années 1980 s’inscrit dans une démarche critique, c’est-à-dire la volonté de faire de la recherche une réponse aux « pathologies du social » (Honneth, 2006). Les chapitres 4 (« Seeking spatial justice in Los Angeles ») et 5 (« Translating theory into practice : urban planning at UCLA ») de SSJ confrontent ce qui précède aux conditions de possibilité de la JS dans le contexte d’une ville emblématique, à savoir Los-Angeles. L’originalité de cette mise en pratique décrite par Soja est d’exhorter les chercheurs à être des acteurs impliqués localement dans l’actualisation de la JS. Nous serons ainsi conduits à nous poser deux questions : comment s’effectue le passage d’une JS théorique à une JS en prise avec le réel ? Et ensuite, quelle place occupe les chercheurs et les universitaires dans ce travail de mise en pratique ?

Références

Honneth, Axel (2006) La Société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris : La Découverte.

Lefèbvre, Henri (1991) La Production de l’espace, Paris : Anthropos.

Soja, Edward W. (1980) « The socio-spatial dialectic », Annals of the Association of American Geographers, vol. 70, N°2, p. 207-225.

Soja, Edward W. (2000) Postmetropolis. Critical Studies of Cities and Regions, Oxford & Malden : Blackwell.

Soja, Edward W. (2009) « Taking space personally », in Barney Warf et Santa Arias, The Spatial Turn. Interdisciplinary perspectives, New-York : Routledge, p. 11-35.

Turmel, Patrick (2003), Un cadre conceptuel pour une philosophie politique de la ville ?, Mémoire de maîtrise, Département de philosophie, Université de Montréal.

Weinstock, Daniel (2009), « Pour une philosophie politique de la ville », Rue Descartes, N°63, p. 63-71.

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